Les deux énergumènes faisaient leur route gaiement, quand Jack osa tout de même reposer le sujet sur la table :
- Ecoute, ce qu'on va faire là, ce n'est pas du grand art. Je te rappelle qu'on se moque du Krabby et de ce Lamperoie ; notre objectif est l'Insomniscoque, rien d'autre ! On attrape le truc à pinces pour lui tirer son larcin et on se tire ; on racontera au Lamperoie que le voleur s'est échappé.
- Et un Insomniscope, c'est quoi ?
- Je te l'ai déjà dit plusieurs fois... tu m'exaspères... Selon les rumeurs, cet objet protège du sommeil. Et comme je te l'ai dit tout à l'heure, je compte sur toi pour te tenir à carreau : on oublie les idées loufoques pour aujourd'hui.
Pour Sherlock, cela représentait bien peu de choses : en réalité, le butin était plus intéressant que cet Insomniscope, car cet objet ne lui servirait strictement à rien.
Pour le Ferosinge, c'était une autre histoire : il espérait grâce à cet artefact réaliser LE miracle du siècle. Le singe présumait que son camarade était dans un état de torpeur ; cet Insomniscope pourrait peut-être le tirer de là et réanimer le terrible Psykokwak qui sommeillait en lui. Il s'imaginait déjà coopérer avec une sorte de demi-dieu aux potentialités télékinétiques hors-normes ; dressé comme un chien, ce partenaire de choix serait son arme fatale et personne n'oserait lui barrer la route une fois qu'il aurait pris le contrôle de ce pouvoir immense.
Pour réaliser ce rêve fougueux, le Ferosinge avait accepté un coup de pouce inattendu. Une autre team convoitait cette mission et elle proposait de soutenir les deux aventuriers dans ce périple. Jack n'avait pas pu refuser cette offre aguicheuse : Sherlock n'était pas vraiment le pokemon le plus fin et le plus réactif. Si le singe avait confiance en ses propres capacités pour dérober le bien du Krabby, ses petits bras étant aussi agiles que son esprit était rusé, il émettait toutefois des doutes quant à l'utilité du canard endormi. Il faudrait, pour le faire participer, lui causer quelques troubles ; mais sa transe était si déséquilibrée qu'il risquait de faire voyager l'Insomniscope jusque dans des dimensions parallèles, au lieu de s'attaquer au Krabby... ou à leurs complices.
En tout état de cause, il espérait pouvoir tirer profit de ces compagnons de fortune pour réaliser son larcin. Il faudrait au Ferosinge beaucoup de malice pour piéger ces deux canidés, face auxquels ils ne faisaient pas encore le poids peut-être. Cette mission, avant d'être une course épique derrière un Krabby, était une aventure diplomatique et vicieuse. Jack, en prenant le pas, médita un coup monté.
Il n'avait pas été difficile de parcourir le trajet qui séparait l'équipe du lieudit, près du Bourg-Trésor ; d'ailleurs l'idée d'accomplir une mission en bord de mer ne laissait pas le Psykokwak indifférent et il trépignait déjà de joie à l'idée de profiter des senteurs de la plage. C'était une aventure au grand air, et cette histoire de larcin n'allait certainement pas durer longtemps ; le Ferosinge lui laisserait probablement un moment de répit pour se dorer la pilule et plonger dans la mer enivrante. En parlant d'ivresse, Jack ne changeait pas de main pour faire pencher la bouteille ; il consommait un élixir avec un peu trop de passion pour son petit gabarit. Son partenaire, fidèle à lui-même, ne s'en souciait guère, mais Jack atteignait petit à petit un état d'extase qui se transformerait aisément en guérilla une fois les hostilités ouvertes.
Bientôt, ils rencontrèrent aux abords du donjon ceux qui deviendraient tantôt leurs complices. Un Evoli et un Caninos, deux canidés splendides connus pour leur fourrure majestueuse. Jack regardait ces deux quadrupèdes avec l'oeil du braconnier ; il tentait d'estimer la valeur certainement prisée pour ces deux peaux de bêtes, leur lançant faussement un sourire de gentleman - il faut dire pourtant que, peu à peu, son esprit se dérobait à l'analyse pour laisser place à l'opulence. Sherlock quant à lui - tenant entre ses doigts palmés, pour d'obscures raisons, une pierre ramassée au hasard de la route - avançait vers ces deux pokemons, laissant l'ivrogne en devenir les aborder avec la plus grande sympathie :
- Bonjouuuur ! Je suis Jack et voici mon ami Sherlock ! Je présume que vous êtes nos compagnons ! C'est une véritable joie pour moi de... Sherlock, qu'est-ce que tu fais ?
- J'ai lu un truc sur toi.
Le Psykokwak, se tenant face au Evoli, toucha le pelage de ce dernier avec le caillou qu'il tenait dans la main. Il resta figé ainsi quelques secondes. Voyant l'inefficacité de son geste, il insista, sous le regard désemparé du Ferosinge. Le canard, dans un éclair de géni, crut alors bon de lancer une incantation, continuant de maintenir le contact entre Evoli et sa pierre :
- Evolue, petite bête à quatre pattes ! J'ordonne que tu te transformes en Aquali !
La situation était, évidemment, déjà catastrophique.